La perception est un algorithme complexe. Lorsqu’on écoute, on assiste à l’affrontement d’énergies articulées. Des énergies complexes par nature, mais également organisées en couches superposées, associées chacune à un niveau différent de la perception. Chaque couche agit en quelque sorte sur des zones différentes de l’organisme. C’est-à-dire, par exemple, au niveau physique et au niveau de la mémoire, au niveau des émotions et au niveau de la psychologie profonde. Chaque niveau étant déjà une combinaison mystérieuse de composantes diverses. La musique est intéressante car elle parvient à manier tous ces plans de façon à la fois directe et mystérieuse. au-delà de l’impact physique qui lui est reconnu, et sans l’usage d’un langage codifié comme la langue parlée, la musique réussit à frapper grâce à une sorte de « pression sémantique ».
Dans Sirènes, j’ai travaillé sur la distribution de propriétés dans le temps. Pleins et vides, explosions et silences, départs soudains et interruptions, fragmentations et continuité, instabilité et immuabilité, bruits et transparences. Des propriétés, non seulement du matériau musical – si j’ose dire – mais tirées également de mes réflexions et de mes expériences récentes sur la voix et l’opéra. autrement dit, une matière déjà « contaminée » par d’autres sémanticités, puis filtrée par la pensée électronique et possédant une fonction d’analyse et de traduction alchimique entre les différentes couches. j’ai voulu générer une nouvelle distribution de ces propriétés dans le temps, avec une vision plus abstraite, reliée davantage à une logique perceptive qu’à une logique narrative ou textuelle. Il y a vingt-cinq ans, ma préoccupation principale était de reconstituer un fil rouge, une « stratégie », dans le collapse sémantique de la musique contemporaine ancienne. C’est-à-dire de remettre en phase les paramètres musicaux et une logique nouvelle, ne dépendant pas de la tradition du XIXe siècle mais qui ne soit pas non plus paralysée par l’opposition désormais incompréhensible de l’avant-garde des cinquante dernières années. Je me suis alors rapidement rendu compte que les logiques temporelles de la musique sont beaucoup plus riches que l’idée linéaire, eschatologique, de la « flèche ». Les sirènes du temps nous appellent et nous poussent dans des directions parfois opposées et toujours parallèles, suspendues et lancées parmi les récifs du corps et les flots de l’imaginaire. En d’autres termes, détruire à nouveau, mais en essayant de créer une polyphonie de propriétés qui puissent naviguer, pour ainsi dire, « sur » le temps.
Luca Francesconi, note de programme de la création, Festival Agora 2009.