Dans son roman La Voix du Maître (paru en 1968), Stanislaw Lem imagine les péripéties liées à un projet de recherche top-secret du Pentagone dont la mission est de déchiffrer un mystérieux message venu des étoiles. Une entreprise vouée à l’échec, à cause des limites intrinsèques de la science terrestre, mais aussi (en admettant qu’il s’agisse bien là d’un message) des difficultés à différencier support et contenu et, surtout, en raison du manque total d’informations quant à son émetteur. Comment, alors, interpréter ses intentions sans verser dans le piège de l’anthropomorphisation ?
À l’inverse, dans le court essai In the Dust of This Planet (publié en 2011) qui accumule en quelques pages des références au pessimisme cosmique, à la théologie négative, aux films d’horreur et au black metal, le philosophe américain Eugene Thacker évoque les limites philosophiques de notre compréhension du monde et, surtout, notre incapacité à le penser en termes non-humains. Il identifie l’horizon ultime de la pensée comme l’idée d’un « monde sans nous », c’est-à-dire un monde littéralement « impensable » – notre extinction impliquant la non-existence de la pensée.
Prenant appui sur les postulats de ces deux ouvrages, Mauro Lanza propose justement de penser l’impensable, dans un exercice de science-fiction compositionnelle – traité comme de bien entendu avec la tendre ironie qui le caractérise.
Nous sommes donc dans un futur fort fort lointain, dans des milliers, voire des millions d’années… Voilà bien longtemps que le genre humain s’est éclipsé de cette vallée de larmes. Les traces de son existence passée, en revanche, sont partout disséminées dans la poussière de notre planète. Quelque archéologue du futur – est-ce une équipe d’explorateurs extraterrestre ? Une intelligence artificielle envoyée d’un monde lointain ? Ou une machine d’origine humaine qui soudain se réveille d’un très long sommeil ? –, découvre, parmi les ruines et vestiges de nos civilisations successives, divers appareils et objets qui l’intriguent. Au fil de ses recherches, notre Indiana Jones cosmique comprend que les objets sont porteurs d’informations, et que les appareils servent à les lire. Mais quelles sont ces informations et à quoi servent-elles ? Pourquoi se trouvent-elles en telle abondance, certaines reproduites des millions de fois à l’identique ?
Cette conscience si lointaine de la nôtre saura-t-elle formuler l’hypothèse qu’il s’agit là de codes pour restituer une onde sonore ? Comprend-elle d’ailleurs ce qu’est le son, cette vibration de l’air ? Et, dans ces circonstances, pourra-t-elle même saisir le concept de musique, à défaut d’y être sensible ? Et saura-t-elle différencier les données sonores d’autres types de données ? Enfin, saura-t-elle appréhender le concept de forme ou, dénuée de toute perception de seuil, considèrera-t-elle tout cela soit comme un vaste continuum, soit, à l’inverse, comme une succession discrétisée de moments ou de gestes ?
À l’issue de son expédition sur le terrain, notre chercheur se lance, à partir de toutes les informations dont il dispose, dans la composition de ce qu’il imagine avoir été cet art ou artisanat qui lui est parvenu depuis le fond des temps. In the Dust of This Planet est justement le résultat de ce travail méticuleux d’archéologie sonore – qui pourrait tout aussi bien prendre la forme d’une tentative de catalogage, d’une sorte de carte mentale, d’une maladroite tentative d’imitation, voire de l’esquisse d’un langage. Loin de vouloir faire un collage, notre archéologue cherche à comprendre, mais aussi à produire du neuf. Comme s’il essayait, laborieusement, d’apprendre une chanson.
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