2 percussionists, 2 pianos
Yarn/Wire.
Images of Duration est dédié au peintre Ellsworth Kelly – un artiste que j’admire profondément et qui a exercé une influence majeure sur mon propre travail – décédé pendant que je composais cette pièce. Toutefois, le titre est en réalité emprunté aux écrits d’Henri Bergson.
Selon Bergson, un nombre désigne un ensemble d’unités partageant une forme d’identité commune. Par exemple, « cinquante moutons » peuvent être qualifiés ainsi parce que chacun est un mouton. Mais pour qu’ils soient reconnus comme « cinquante », il doit également exister un certain degré de différence entre eux. Le plus petit écart possible réside dans le fait qu’aucun mouton ne peut occuper exactement la même position dans l’espace au même moment. Ainsi, l’idée de nombre implique nécessairement une relation entre l’espace et le temps. Bergson développe un concept de durée, un espace dans lequel – à l’inverse de l’exemple des cinquante moutons situés dans un espace physique ou virtuel – il existe une hétérogénéité d’unités qui se pénètrent mutuellement, sans le moindre degré minimal de différence perceptible.
Pour illustrer cette idée, Bergson propose trois images de la durée (deux bobines, un spectre de couleurs, et un élastique), qui servent de métaphores pour montrer comment on peut transposer l’expérience de la durée en images relevant de la physicalité de l’espace.
Par exemple, nous pouvons percevoir nos propres émotions comme ayant des débuts et des fins clairs dans le temps – de la même manière que nous percevons des objets comme ayant des contours nets dans l’espace – même si ces limites n’existent pas réellement. C’est cette idée de transfert entre modes de perception qui me ramène à Ellsworth Kelly.
L’un des aspects du travail de Kelly que je trouve particulièrement captivant est sa platitude radicale. Il n’y a aucune illusion de profondeur spatiale. Il laisse ses surfaces bidimensionnelles demeurer telles quelles, sans recours à la représentation en perspective (la profondeur, quand elle apparaît, est littérale : via des reliefs, etc.). Mais il y a une subtilité : bon nombre de ces images plates, en apparence abstraites, sont en réalité le résultat de transpositions d’objets réels tridimensionnels sur des plans bidimensionnels, tout en omettant délibérément tout élément de perspective qui pourrait révéler la « réalité » de l’objet initial, ou tout point de repère pouvant laisser émerger une illusion de profondeur. C’est une forme d’inférence inconsciente inversée.
Dans ma propre pièce, Images of Duration, j’essaie de créer une trame de connexions entre les sons à l’intérieur de chaque mouvement et à travers l’œuvre dans son ensemble, afin d’offrir à l’auditeur un espace où il pourrait devenir plus conscient de la manière dont il transpose (rétroactivement, en temps réel ou par anticipation) l’expérience d’écoute continue en groupements perceptifs « spatiaux » discrets – et de la manière dont ces groupements se transforment (rétroactivement, en temps réel ou par anticipation) en fonction des paramètres perceptifs propres à l’auditeur, qui évoluent continuellement, indépendamment et/ou en réaction aux changements dans les sons composés eux-mêmes. Je souhaite que vous deveniez conscient des différentes façons dont vous écoutez pendant que vous écoutez. Écoutez-vous écouter.
Images of Duration, initialement présentée à l’occasion d’un concert-portrait, a ensuite été considérablement développée entre 2016 et 2018, pour atteindre une durée de concert.
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