Cette pièce pour orchestre, composée en 1971 pour l'anniversaire de la naissance de Dürer, fut créée en décembre de la même année à Nuremberg, ville natale du peintre allemand.
Le titre Melodien vient du fait que des lignes mélodiques naissent de la structure harmonique qui les ordonne. Puis, gagnant leur indépendance, s'involvent, se referment sur elles-mêmes, ou au contraire s'étirent, multiples et divergentes, toutefois, sans changement harmonique subit, comme dans la musique traditionnelle, mais par une lente et comme invisible transformation. De là naissent de troublantes rosées lumineuses, une sorte de sonorité irisée : la musique est poignardée de lumière par derrière. Elle devient alors grave, comme cette lumière observée de l'ombre.
Pas question de déceler un quelconque motif, une ébauche de thème parmi ces quelque vingt-cinq « silhouettes » mélodiques : peut-être ici un ostinato, suivi d'un lent mouvement qui se tord en spirale, là une ornementation stridente. Ligeti expose, comme si un thème était énoncé, mais l'idée de thème est absolulement étrangère à cette musique. Il n'y a qu'ébauche : « Tout est mis hors circuit avant d'être complètement ébauché. »
Cette musique, fixée sans répit, sans aucune césure, donne l'impression de s'écouler continuellement, comme si elle n'avait ni début ni fin. Nous entendons une coupe de quelque chose déjà commencé depuis toujours. Ainsi le lourd rideau de notre vie constellé de déchirures opaques, de souvenirs rayonnants ou de désirs perpétuellement inassouvis. C'est que « la musique est dans une sorte de relation métaphorique avec les deux sens du mot ».
Jean Noël Von der Weid.